Insuffler de la solidarité dans notre économie grâce à la Sécurité économique

Opinions Un oeil sur le monde

La Sécurité sociale née dans le contexte d’après-guerre a permis d’innombrables progrès basés sur le principe de solidarité. Quelques décennies plus tard et dans une actualité de paupérisation accrue, de croissance illimitée en pleine crise climatique, d’ubérisation de l’économie qui creuse encore les inégalités sociales, d’augmentation folle des incapacités de travail… Benoît Borrits propose un nouveau concept redistributif: la Sécurité économique.

L’idée? Chaque entreprise privée (un·e indépendant·e, une société de capitaux, une coopérative ou une association) bénéficie d’une allocation mensuelle par emploi en équivalent temps plein. Ces allocations seraient financées par les entreprises elles-mêmes par l’intermédiaire d’une caisse interentreprises de Sécurité économique. Schématiquement, toutes les entreprises privées alimenteraient donc un pot commun avec un pourcentage de leurs richesses produites et recevraient en contrepartie une allocation pour chaque équivalent temps plein engagé. A l’instar de la Sécurité sociale, il y aura des entreprises bénéficiaires et d’autres contributrices net: c’est pourquoi, le concept n’est viable (comme pour la Sécurité sociale) que via l’instauration d’un régime obligatoire. Les estimations projettent que 40% de cette caisse interentreprises financerait 75% d’un salaire minimum de croissance (SMIC) actuel.

Benoît Borrits et son équipe avancent par ailleurs que l’instauration de la Sécurité économique permettrait:
– à la population active d’avoir un meilleur choix d’emplois;
– de démocratiser l’entrepreneuriat;
– une économie plus résiliente;
– une approche non productiviste de l’emploi;
– de réduire les inégalités.

Trois questions à Benoît Borrits, auteur français et initiateur du concept de Sécurité économique. Il était invité par Smart le 9 février 2023 pour présenter sa proposition. 

Comment la sécurité économique peut-elle effectivement garantir un filet de sécurité à toute la population active (y compris les indépendants, les intermittents, les allocataires sociaux)?

Il y a deux niveaux de réponse à cette question. La première c’est qu’il existe déjà de la pauvreté économique dans notre société, c’est-à-dire des personnes qui travaillent de manière acharnée et peinent à obtenir de leur travail l’équivalent d’un salaire minimum. C’est le cas des indépendants ubérisés, des paysans, et de bien d’autres artisans dans certains secteurs. L’intérêt de la Sécurité économique est de leur apporter un socle de revenus indépendant du marché. Le principe de la Sécurité économique est de dire qu’une partie de la production privée est extraite globalement pour être répartie de manière égalitaire.

Le deuxième niveau sur lequel la Sécurité économique agit est celui des entreprises qui embauchent. Aujourd’hui, lorsqu’une entreprise embauche elle doit assurer la totalité du salaire. Avec la Sécurité économique, l’allocation – qui est la garantie d’un socle de revenus – permettra de payer une partie du salaire. Donc demain, avec l’instauration de la Sécurité économique, les entreprises n’auront plus qu’une partie du salaire à assurer. L’intérêt de cette formule c’est que cela va inciter les entreprises à proposer différents emplois et aux individus d’avoir une offre large qui leur permettra de choisir réellement leur emploi en fonction de leurs critères.

Est-ce que cela signifie que tout le monde peut ou doit travailler? C’est un débat de société qui doit être considéré indépendamment de la Sécurité économique. La Sécurité économique permettra en tout cas une forte diminution du nombre d’allocataires de minima sociaux qui sont aujourd’hui dans la pauvreté et qui auront demain des opportunités de travail. Mais il est important de souligner que la Sécurité économique ne préconise en aucun cas la fin des minima sociaux!

Aujourd’hui, le débat sur le salaire minimum est absolument pourri. Dès qu’on évoque la possibilité d’augmenter le salaire minimum se pose la question de savoir si cela ne va pas atteindre les capacités d’emplois. Le véritable débat que nous devons avoir dans notre société est de savoir quel est le salaire en dessous duquel on estime qu’il est indécent qu’une personne soit payée pour un temps plein. C’est tout. C’est un débat qui est extrêmement important aujourd’hui dans le contexte d’inflation qu’on connaît où les gouvernements font du rafistolage avec des chèques-énergie, des compléments de revenus pour certaines structures familiales, etc., alors que nous devrions faire du simple. La Sécurité économique permet cela: si on doit augmenter le salaire minimum de façon à ce qu’il n’y ait pas d’incidence sur l’emploi, on augmentera en proportion le socle de revenus. C’est un débat qui doit être purement social et non pas économique.

A celles et ceux qui annoncent que la Sécurité économique engendrera une fuite des grandes entreprises et donc détruire du travail au lieu d’en créer, que répondez-vous?

Sur le fond, la Sécurité économique ne remet pas fondamentalement en cause l’économie de marché. Elle ne fait que la mettre à sa juste place de façon à ce qu’elle devienne socialement acceptable, qu’on ait une économie au sein de laquelle la solidarité signifie quelque chose. On a d’une part la partie mutualisée égalitaire et puis une autre partie dans laquelle on va laisser jouer les mécanismes de marché.

De ce point de vue, je ne pense pas qu’il y aura une fuite des capitaux. Une chose est certaine: nous aurons besoin de moins de capitaux, ce qui n’est pas une mauvaise chose selon moi.

On va profondément changer la société mais d’une façon douce. Très franchement, la Sécurité économique c’est un appel extraordinaire au développement de l’économie sociale et coopérative. On ne peut pas prédire jusqu’où, c’est la population et sa praxis qui le déterminera. Est-il possible que de nombreuses sociétés de capitaux disparaissent parce qu’on va avoir un rapport travail-capital beaucoup plus en faveur des salariés? Il y a des chances que l’on assiste à de nombreuses transformations de sociétés de capitaux en sociétés coopératives. C’est une perspective qui est loin d’être désagréable mais elle n’est en rien automatique.

Comment la Sécurité économique pourrait-elle se traduire en réalité? Que faut-il mettre en place pour pouvoir l’implémenter concrètement?

La question fondamentale est qu’il s’agit d’un régime obligatoire et cela ne fonctionnera pas sans cela. Qui dit régime obligatoire dit projet de loi. Et qui dit projet de loi dit convaincre des partis politiques de mettre cette proposition dans leur programme.

Des contacts ont déjà été pris et nous avons parfois un accueil très favorable à l’idée, parfois moins. Quoi qu’il en soit, le fond du problème est que les politiques ne s’engageront dessus qu’à partir du moment où il y aura un courant très fort dans la société en faveur de cette idée. C’est ce à quoi nous allons nous atteler dans les mois et années qui viendront.

Je pense que cette proposition recueillera ensuite de l’intérêt de différents cercles de la vie politique – aussi bien à gauche qu’au centre – pour une raison extrêmement simple: aujourd’hui, une très grande partie du budget de l’État subventionne l’entreprise privée de façon démesurée. Les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires, les subventions fiscales, les subventions sur la recherche et le développement… Différentes études chiffrent ces aides aux entreprises à environ 150 milliards d’euros en France. Ajoutons-y le coût du chômage de longue durée. On estime qu’un chômeur de longue durée coûte au budget de l’État 17.500 euros en minima sociaux, en cotisations sociales qui ne rentrent pas, en frais de santé additionnels et en politique d’aide à l’emploi dont on pourrait très bien se passer. Multiplié par 2,5 millions de demandeurs d’emploi de longue durée, cela fait à nouveau plus de 40 milliards d’euros. On se trouve aujourd’hui dans une situation de plus en plus contrainte budgétairement. Avec les banques centrales qui remontent les taux d’intérêt, les possibilités de déficit public sont en train de se réduire.

La crise des services publics dans tous les pays européens en est la conséquence. Il est de plus en plus difficile de recruter des enseignant·es ou des soignant·es parce que l’État ne propose pas de conditions salariales en rapport avec ce que les gens attendent. Même si la Sécurité économique agit a priori sur l’économie privée, on voit que cela a un effet rebond sur l’économie publique en dégageant des marges de manœuvre budgétaires de façon à rendre un nouveau souffle à nos services publics.

Envie d’en savoir plus? Rendez-vous sur www.securiteeconomique.org

 

 

 

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