Le Covid-19 n’est pas hors la loi !

Opinions

Il y a quelques jours, un musicien se produit en concert, devant une quinzaine de personnes, dans une église, et dans le respect des règles sanitaires imposées à ces lieux. La police constate une infraction : 15 personnes dans une église, oui, mais pour le culte, pas pour la musique… et elle verbalise.

Dans le même temps, la presse relaie les difficultés extrêmes rencontrées par la masse de travailleurs au noir (notamment dans l’Horeca) à la suite de la fermeture complète de certaines entreprises ou établissements. Dans le même temps, le personnel de première ligne en matière de santé mentale tente d’alerter sur la profonde fracture socio-psychologique provoquée par la crise Covid et ses effets. Dans le même temps, les médecins alertent eux aussi sur les pathologies graves qui n’ayant pas été détectées et soignées en temps utile provoqueront une hausse de la mortalité dans les 5 années à venir… et les avions volent: business as usual.

Revenons à la musique : cet incident à l’église de Crupet a une valeur symbolique. Elle illustre presque un an après le début de la crise toute l’étendue de l’impréparation des deux Gouvernements successifs ayant tenté de donner l’illusion qu’ils géraient quelque chose.

La pandémie est réelle, elle est mortelle, et pour de multiples raisons combinant la nature de ce virus, nos modes de vie locaux, nos aspirations au bien-être et la circulation planétaire des personnes, elle acquiert, ici et aujourd’hui, une portée systémique, quand bien même est-elle encore loin de la peste noire au XIVème siècle ou de la grippe espagnole à la sortie de la Première Guerre mondiale.

Tout, dès le début, nous indiquait que la crise sanitaire serait longue, bien plus longue que les 4-5 mois de lockdown total à la chinoise, à Wuhan. Longue et continue: se projeter dans ce temps long, prévisible et prévu par les virologues, aurait sans doute permis de réduire l’ampleur et l’incohérence des mesures prises, tout en maintenant dans des limites acceptables la vitesse de propagation du virus, propagation inévitable dans notre pays, densément peuplé, hyper-communiquant avec ses voisins, et démocratique.

Mais au lieu de cela, nous avons subi les valses-hésitations de deux Gouvernements pris en tenaille entre la dégradation de notre système de santé, de son personnel et de ses stocks (de masques, par exemple), l’impréparation des administrations, les lobbying divers (du patronat, des fédérations sectorielles, des Communautés et Régions, etc.), clientélistes, et leur rigidité idéologique quant au rôle de l’Etat, notamment quant à son rôle social.

Nous avons assisté à une pantalonnade politique à la petite semaine qui n’a produit que de la confusion, de l’incompréhension, de l’arbitraire (politique, policier et administratif), des allers-retours cacophoniques sur des mesures et leurs périmètres:  de la prière dans une église mais pas de la musique, les cinémas vides mais les avions bondés, la distance sociale et le masque, oui, mais au bureau, à côté de ton collègue, tu peux l’enlever pour « skyper » sans discontinuer, la dimension de la bulle qui est élastique de semaine en semaine, les jauges des lieux culturels idem, et pour les entreprises et établissements, on peut ouvrir, puis plus, puis sous condition, puis plus, etc., le télétravail est obligatoire, souhaité, fermement conseillé, sauf pour des fonctions essentielles, critiques, indispensables, allez savoir ce que cela veut dire.

Sans parler d’une prise de conscience extrêmement tardive des effets de ces mesures sur d’autres dimensions de la vie humaine : l’enseignement, la socialisation des jeunes, la santé mentale, la détection en temps utile des pathologies graves, la pauvreté galopante des familles précaires, etc. En quoi, finalement, la nature du rassemblement dans un lieu autorisé pour « 15 personnes » a-t-elle quoi que ce soit à faire avec le Covid?

Bref, tout ce qu’il ne fallait pas faire a été fait, pour le coup consciencieusement. Et cela ne concerne pas seulement la Belgique.  

Il est trop tard et l’on ne refait pas l’histoire. Les coiffeurs, du moins celles et ceux qui ont survécu, peuvent ouvrir, les artistes de spectacles sont encore confinés, les cafés et restaurants restent fermés, les écoles, on ne sait plus très bien… le désastre est là: social, sanitaire (il n’y a pas que le Covid dont on meurt), économique, juridique et politique. Un désastre qui contribue chaque jour à nourrir les démons de notre démocratie : décohésion et désaffiliation, individualisme narcissique, complotisme, fracture sociale.

Nous sommes bien persuadés qu’il appartient à chacun de choisir son mode de vie. Mais nous sommes également persuadés que laisser à chacun le soin d’évaluer le risque qu’il fait porter aux autres, proches ou non, représente un danger insupportable collectivement. Ce n’est pas la nécessité de mesures sanitaires, mêmes strictes, qui nous pose problème: ce sont les mesures erratiques, disproportionnées et incompréhensibles, aveugles à leurs effets, qui ont été ou sont prises, et qui représentent un risque encore plus grand, pour la démocratie et le « care » occidental (pour ce qu’il en reste), sans lesquels on se serait contenté comme au Brésil ou aux Etats-Unis, de laisser crever les gens!

Est-ce donc excessif que de réclamer de la cohérence, de l’intelligence et de la clarté dans les textes règlementaires qui sont pris, des circulaires d’application qui limitent les interprétations arbitraires, un traitement équitable et proportionné des situations plutôt que des « secteurs » selon le poids de leur clientèle politique, un traitement social et économique simultané aux mesures, propre aux effets celles-ci et doté de moyens au niveau des sacrifices qui sont demandés à la population, un réel réinvestissement massif dans la santé, de première et seconde ligne, une vision long terme du fait pandémique, Covid ou autre, puisque l’on sait que ce risque est désormais probable et systémique, le retour du Parlement et du débat démocratique et la fin d’un état d’exception qui s’instaure insidieusement et qui deviendra une norme, détestable entre toutes, si l’on n’y prend garde.

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