Défendre les conditions salariales des musiciens et musiciennes

Opinions

Smart est saisie, et ce n’est pas la première fois, d’une demande d’abaisser les barèmes minimaux pratiqués dans nos outils pour les artistes relevant de la Commission Paritaire 304 CCT musiciens (FR), et exerçant dans le cadre du « 1bis » (engagement sans lien de subordination).

Cette demande n’émane pas de client·es mais d’organisations représentants les musiciens et musiciennes. Au prétexte notamment « qu’il faut s’adapter aux réalités de terrain ».

Prenons cette occasion pour faire le point sur quelques sujets: Smart, le terrain, les barèmes, le 1bis, le métier de musicien·ne.

Les musicien·nes le savent, surtout celle et ceux qui vendent leurs prestations en concert: ils et elles sont avant tout des producteur·ices de services, avant d’être des travailleur·ses qui louent leur temps de travail.

Faire de la musique, c’est produire des services

Un concert, c’est l’aboutissement d’un long travail de production: il faut des équipements coûteux (instruments et autres), des répétions et/ou des résidences (et des locaux ad hoc), des partitions, du coaching parfois, des collaborations diverses, parfois de la création lumière, son, visuelle… Le matériel doit être transporté, le concert peut être précédé d’une répétition sur le plateau. Et quand le concert est terminé, le matériel rangé, on peut être amené·e à devoir dormir sur place parce qu’en tournée, ou pour des raisons de sécurité, liée à la fatigue.

Bref, la rémunération du temps de travail à disposition de l’organisateur·ice d’un concert n’est qu’une partie du coût total de production, à charge des musicien·nes.

Smart, dès l’origine, a pris en compte ces nombreux métiers souvent pratiqués dans le cadre d’une production, avant d’être exercés comme salarié·es: ce n’est pas pour rien que le projet Smart s’incarne notamment dans une asbl dénommée « Productions Associées ». Le modèle dominant de Smart est bien celui de la production de biens et services.

À moins d’opter pour le statut d’indépendant ou de créer sa propre société ou association, le modèle Smart est le seul moyen pour gérer ces multiples coûts, les étaler sur plusieurs années, les répercuter sur le prix de vente des prestations… Bref qui permet de gérer la production tout en restant salarié·e et assujetti·e au régime général de la Sécurité Sociale.

Smart s’adresse donc ici à des producteur·ices qui font le choix de revenus professionnels salariés, sous contrat de travail ou sous engagement 1bis.

Les barèmes, une protection pour les salarié·es

Dans ce contexte, la question des barèmes (salaires minimums) pratiqués chez Smart ne concerne finalement… que Smart et ces producteur·ices, qui forment la quasi-totalité (90%) de ses salarié·es.

Rappelons d’abord qu’il s’agit de minima, et non d’un salaire de référence sectoriel, même si nombre d’opérateur·ices et de client·es ont tendance à les considérer comme tels et à les imposer.

Constatons ensuite qu’ils s’appliquent uniquement dans le contexte d’un contrat de travail; les indépendant·es ne sont pas tenu·es de respecter ces minima, pourtant déjà peu élevés pour les musicien·nes. Et d’ailleurs, nous n’avons pas encore rencontré de client·es, d’organisateur·ices de concerts déterminé·es à faire remonter les minima barémiques lors de négociations dans les Commissions paritaires. Et encore moins à préconiser une régulation des tarifs minimaux des artistes indépendant·es.

Aujourd’hui donc, des organisations nous demandent d’abaisser le salaire minimum pour celles et ceux qui exercent dans le cadre du 1bis. Des salaires qui seraient en dessous de ceux que doivent respecter celles et ceux qui sont sous contrat de travail. Rappelons que le 1bis n’est pas « au choix »: il faut avoir une Attestation de Travailleur·se des Arts (ATA) et travailler sans relation de subordination avec quiconque. Concrètement, il s’agirait de passer d’un minimum de 135€… à un minimum de 97€, par exemple pour un service concert!

Le but est de faire baisser le prix réclamé aux client·es avec pour conséquence de mettre en concurrence, au sein même de Smart, les musicien·nes qui font le choix du contrat de travail ou n’ont pas l’ATA, ou encore n’en ont pas voulu.

On peut arguer de toutes les ficelles juridiques* pour justifier que cela est possible, la question est: Cela est-il utile? Souhaitable ? Cela contribue-t-il à la défense des travailleurs et travailleuses et de leurs conditions de rémunération? Non, évidemment.

Qu’observe-t-on en réalité?

Qu’en dit le terrain? Nous ne pouvons bien sûr parler que du terrain Smart.

Le nombre de musicien·nes produisant et travaillant au sein de notre écosystème a connu un bond en 2024. L’application (à partir de 2024) des barèmes (salaires minimums) aux engagements 1bis ne paraît pas avoir été rejetée par le terrain.

Regardons de plus près encore.

Comment lire ce tableau?
Dans ce tableau, nous avons réparti la population des musiciennes et musiciens en dix groupes égaux (déciles), classés selon leur salaire journalier moyen.
Chaque décile représente donc 10% de la population totale.
Le premier décile (1) regroupe les 10% des musicien·nes ayant les salaires journaliers moyens les plus bas, tandis que le dernier décile (10) rassemble les 10% percevant les salaires les plus élevés.
Pour chaque décile, deux valeurs clés sont indiquées:
Le minimum (min): le salaire journalier moyen le plus bas observé dans ce groupe
Le maximum (max): le salaire journalier moyen le plus élevé observé dans ce groupe

Surligné en jaune, le décile 2015 dans lequel se trouvait le minima barémique pour un engagement par service (104,67€ à l’époque) et le décile 2024 pour le même barème (avec l’indexation, 135,41€). On observe de façon incontestable une augmentation générale des salaires journaliers moyens, et une fraction de plus en plus importante de la population (de 40% en 2015 à 70% en 2024) pour laquelle ce salaire est au-dessus voire nettement au-dessus d’un des minima symboliques : celui du service « concert ».
Les 2 à 3 premiers déciles (20 à 30% de la population) en-dessous de ce minima symbolique respectent évidemment les barèmes, mais celui horaire, et dans un contexte de temps partiel.

Manifestement, notre politique de minima salariaux (qui certes restent encore trop faibles, mais au moins évitent toute concurrence entre formes d’engagement contrat de travail vs 1bis), ne fait pas fuir les musicien·nes et chanteur·ses. Au contraire, elle semble favoriser une croissance générale de la rémunération journalière, bien au-delà des phénomènes d’indexation (qui ne représentent entre 2015 et 2024 que 40% de la croissance).

Notons également qu’en moyenne, la rémunération représente entre 65 et 70% de la facturation: les autres dépenses relatives aux activités sont donc prises en charge sur les revenus de l’activité marchande et non sur les revenus salariés des artistes, après cotisations sociales et impôts des personnes physiques. Expliquons:

Sur une recette de 100€, imaginons un achat nécessaire de 10€. En l’achetant avant rémunération (dans « Productions Associées »), la TVA sera déduite, et il restera 92€ pour la rémunération, soit environ 42€ de net en poche.

Pour un salarié rémunéré (brut) à 100€, il touchera environ 46€ de net en poche, sur lesquels il déboursera les 10€ de l’achat (sans déduction TVA)… et il ne lui restera alors que 36€. Prendre ses dépenses de production en charge sur ses revenus salariés est évidemment une stratégie coûteuse.

En conclusion

L’observation de notre terrain, la réforme du 1bis en 2023, l’utilité des minima salariaux généralisés à toute forme d’engagement salarié: voilà qui nous conforte dans notre position, celle de neutraliser toute forme de concurrence sur les prix résultant de disparités barémiques entre contrat de travail et 1bis. Et face aux évolutions législatives qui favoriseraient des rémunérations à la baisse et la force du marché, pour Smart le choix est clair: défendre l’intérêt des salarié·es et lutter contre toute forme de dumping social, notamment la sous-rémunération des engagements sous 1bis. Et c’est dans ce sens que les minima salariaux issus des Conventions Collectives de Travail sectorielles doivent s’appliquer quelle que soit la forme d’engagement.

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* Or l’article 1er bis réformé assimile le donneur d’ordre à l’employeur et lui impose de fournir une rémunération « égale ou supérieure au salaire auquel un employé aurait eu droit pour une même fonction chez le même donneur d’ordre ». 

Une réponse sur « Défendre les conditions salariales des musiciens et musiciennes »

personnellement, vu le montant des cachets, il est difficile de faire une contrat d’un jour de travail sous l’article 1er bis…je suis souvent obligée de faire un contrat d’une demi-journée ce qui ne correspond pas la réalité!

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