Michel Bauwens est un spécialiste du pair à Pair, de l’économie collaborative et des communs. Il est depuis trois ans accueilli par Smart en résidence de recherche. Il nous livre un premier regard sur la crise en cours.
C’est peut-être une constatation banale, mais l’histoire humaine procède de façon non-linéaire. Nous voyons les sociétés traverser des périodes plus ou moins stables, mais interrompues par des chocs inattendus qui souvent changent les mentalités et les structures. L’émergence du virus Corona est dans ce contexte un grand révélateur des contradictions de notre système, et un grand accélérateur de changement.
Je me permettrai de faire ici quelques constatations « négatives » avant de me concentrer sur les mobilisations citoyennes qui me donnent beaucoup d’espoir.
Tout d’abord, il s’avère que dans ces moments clefs, les État-Nations et leurs coopérations (au travers d’institutions multilatérales) prennent beaucoup d’ampleur. Cela est nécessaire, mais nous voyons quand même beaucoup de manquements. Ainsi les institutions de santé publique se trouvent assez démunies après une longue période d’austérité qui a diminué leurs moyens, tandis que nous découvrons que notre résilience logistique dépend quasi entièrement de la Chine, et qu’une fois ce pays touché c’est le monde entier qui se retrouve sans masque, ni ventilateur, ni kit pour tester la présence de la maladie etc.
Nous voyons également que la sphère marchande est presque complètement incapable de survivre à ce type de choc sans de très larges injections financières de la part de l’Etat. Pour les travailleurs aussi c’est un réveil brutal, mais surtout pour les travailleurs indépendants et souvent précaires. Nous voyons que dans la plupart des pays, l’instinct des gouvernements est de focaliser sur l’aide aux travailleurs salariés, laissant les travailleurs indépendants dépourvus de ces mêmes soutiens. Ainsi le choc de la santé publique est-il accompagné d’une crise économique et financière qui aura des répercussions profondes pour les années à venir.
A contrario, ce genre de crise provoque aussi souvent des mobilisations de solidarité humaine, émanant de la société civile, qui vont essayer de palier les manquements de l’Etat et du marché. C’est pourquoi j’ai créé une section nouvelle dans le wiki de la Fondation P2P, qui est déjà un observatoire des pratiques « pair à pair » et orientées vers la création de ressources partagées, c’est-à-dire de communs. Cette nouvelle section se focalise sur ce qu’on peut appeler les réponses collaboratives envers les crises créées par le Coronavirus.
Voici quelques observations préliminaires. Une première constatation est que le monde des mouvements « open source » (qui partagent leurs connaissances) et des makers (qui partagent leurs designs et ont souvent des outils comme les imprimantes 3D pour produire ce qu’ils ont imaginé) se sont très fortement mobilisés. Qu’il s’agisse des masques, des ventilateurs, de l’équipement protecteur pour le personnel soignant, et même des kits pour tester la présence de la maladie : pour toutes ces problématiques, des communautés agissantes se sont créées en un temps très court et avec des projets probants. Ainsi, à Bruxelles, où une production de masques s’est lancée après une semaine de préparation seulement. Cet exemple est illustratif du positionnement du monde politique : dans la Région Bruxelloise, ces projets ont été reconnus et soutenus, tandis que le gouvernement anglais négocie avec des industriels beaucoup plus lents, en ignorant les nombreuses solutions qui émanent des communautés de makers. Ceci cache un problème : les forces politiques et étatiques n’ont pas l’habitude de gérer des relations public/communs et il n’y a quasiment pas de protocoles établis pour faciliter ce genre de coopérations.
Une deuxième grande réponse a été la création ultra-rapide de systèmes d’aide mutuelle. Ainsi, aussi bien en Angleterre qu’aux Etats-Unis, nous avons vu quelques centaines de groupes d’entraide se créer. Beaucoup de plateformes collaboratives et coopératives se sont organisées pour gérer le flux de bonnes volontés entre citoyens, afin que ceux qui veulent donner de leur temps, de leur expertise, ou un soutien financier, puissent plus facilement trouver ceux qui en ont besoin.
Une troisième réponse concerne l’organisation de la nouvelle vie collective pour compenser l’isolement dû au confinement. Il s’agit ici non seulement de basculer vers l’apprentissage ou le travail en-ligne, souvent soutenu par les entreprises ou institutions affectées, mais aussi ce qui concerne la vie culturelle et créative, ce qui inclut une mobilisation de la réflexion et des désirs partagés pour une vie post-Corona qui aura appris des faiblesses du système politique et économique.
Pour trouver des exemples de ce types d’auto-organisations citoyennes, rendez-vous sur le wiki de la P2P Foundation (https://wiki.p2pfoundation.net/Category:Corona_Solidarity_Initiatives).
Quelques ressources pour les pays francophones :
* Pour partager et référencer vos initiatives de solidarité : https://t.me/joinchat/Kd5EW0kFszT96K7Q32Ohag
* Une cartographie pour recenser les initiatives de solidarité locale face à l’épidémie : https://covidentraide.gogocarto.fr/annuaire?#/carte/@45.29,3.21,4z?cat=all. Pour inscrire un groupe local : https://covidentraide.gogocarto.fr
* Le site de Code-Virus, un collectif de travail interdisciplinaire en sciences humaines et sociales pour l’étude de l’impact sociétal du CoronaVirus, dont l’objectif est de suivre, documenter et anticiper collectivement les conséquences de la pandémie sur nos modes de vie, nos organisations et nos territoires : https://www.msh-alpes.fr/appel-collectif-shs-code-virus
* Entraide-coronavirus : une application d’entraide : https://entraide-coronavirus.glideapp.io
* La Plateforme de Microbiologie Mutualisée (P2M) est ouverte à l’ensemble des laboratoires de référence de l’Institut Pasteur, à Paris et dans le Réseau International. Dans un esprit de mutualisation technologique, P2M regroupe les demandes et permet ainsi l’utilisation en routine, jusqu’ici impossible du séquençage à haut débit multi-pathogènes (NGS par les technologies illumina et Ion Torrent) : https://research.pasteur.fr/fr/team/mutualized-platform-for-microbiology/
* OpenCOVID19-fr est une organisation informelle issue de la société civile dont l’objet est de consolider des données et de proposer des outils de visualisation concernant l’épidémie de COVID19 en France : https://github.com/opencovid19-fr
* Pour afficher un mot dans son immeuble pour proposer un réseau d’entraide (courses et autres services) : https://www.facebook.com/groups/1426110274273709/permalink/2533499770201415/?comment_id=2533500980201294
* Pour apprendre autrement en post-présentiel, une invitation à l’innovation pédagogique par Michel Briand et al. : https://www.innovation-pedagogique.fr/article6762.html?
2 réponses sur « Le regard de Michel Bauwens… »
Ce serait chouette de mettre en valeur des initiatives de solidarité des travailleur.euse.s-sociétaires Smart et leur manière de s’adapter et répondre à la crise (confection de masques à prix libre, cours et consultation en ligne, …).
Bonjour,
Je ne connaissais pas Michel Bauwens ; je découvre tout ce qui est déjà en place pour faire ensemble ; je vais m’en inspirer largement pour une action locale (élue conseillère municipale récemment dans mon village), sachant que beaucoup de citoyens ne demandent qu’à partager et agir de façon collective et participative. Tout cela est très enthousiasmant et inspirant !
Je suis « Smartienne’ depuis presque un an , et formatrice en relations humaines depuis plus de 20 ans, avec pour projet d’élargir mes « cours » au delà du monde de l’entreprise, auprès de tous, par l’intermédiaire du numérique notamment.
Merci à vous pour toutes ces informations et ces outils que vous mettez en place pour nous !
Bien cordialement
Claude HUET
(Smart Toulouse)