Après Göteborg en Suède en juin 2023 et Donostia San Sebastian en Espagne en novembre 2023, c’est cette fois à la ville de Liège d’endosser le rôle de capitale de l’économie sociale européenne. Dans le cadre de la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne (UE), la conférence intitulée «La rencontre européenne de l’économie sociale: l’économie sociale au cœur des transitions» s’est tenue les 12 et 13 février 2024. Après notre présence à ces trois éditions, il est temps de faire le point.
Quel intérêt pour Smart de participer à ces évènements? L’essentiel du programme des conférences est constitué de tables rondes et de séances plénières, il nourrit notre réflexion sur notre activité, son sens et le contexte dans lequel elle s’inscrit. L’aspect réseautage est au moins aussi important tout comme la visibilité sur les réseaux sociaux, dans les médias et l’attention politique.
En termes de contenu, le rôle important que jouent les entreprises de l’économie sociale dans la transition économique a été souligné. Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement? Qu’entendons-nous par concept d’économie sociale et que pouvons-nous en attendre en tant que citoyen·nes et partie prenante? Qu’apportent vraiment ces conférences en plus d’une rencontre agréable entre personnes partageant les mêmes idées? En juin 2023, Susanne Westhausen de Kooperationen¹ s’est demandé si nous comprenions tous et toutes la même chose en Europe de l’économie sociale. Des pays comme la Hongrie et la Pologne (les prochaines présidences du Conseil de l’UE) ont leurs propres priorités et une histoire différente de celle de la Suède, de l’Espagne ou de la Belgique, avec une interprétation très différente du concept d’économie sociale, tant en termes de contenu que de budget. Même dans un petit pays comme la Belgique, tout le monde n’est pas sur la même longueur d’onde: alors qu’en Flandre, l’accent est mis sur les entreprises qui accordent une attention particulière à la position et à l’intégration sur le marché du travail des personnes issues de groupes défavorisés² (maatwerkbedrijven ou les entreprises de travail adapté), en Wallonie et à Bruxelles, c’est une interprétation plus large du concept³ qui prévaut, avec une attention particulière au collectif, au travailleur·euse et à l’environnement, même si les structures d’accompagnement à l’autocréation d’emploi en Wallonie (les SAACE) ne peuvent désormais fonctionner qu’en tant qu’asbl⁴. En théorie, cependant, les coopératives jouent un rôle de premier plan⁵ dans la définition européenne, comme en témoigne la description de la « feuille de route de Liège » qui a été signée par 19 États membres européens lors de la conférence de Liège⁶.
Les entreprises d’insertion ou de travail protégé sont soutenues financièrement par les différentes régions de Belgique afin de réduire l’éloignement du marché de l’emploi pour les groupes ciblés. Ce soutien financier est d’une importance sociale indéniable puisqu’il permet à des personnes éloignées du marché de l’emploi de retrouver un travail valorisant. Mais réserver le concept d’économie sociale aux entreprises sociales crée aussi une dichotomie avec ce qu’on appelle l’économie régulière. La logique purement capitaliste reste la norme, et l’image que l’économie sociale n’existe qu’en vertu d’aides d’État persiste toujours. La logique de l’économie d’insertion et de l’économie sociale au sens large (l’entrepreneuriat social) pour créer des emplois dans des organisations à taille humaine devrait être celle utilisée dans chaque entreprise. Cependant, les intérêts des actionnaires de cette entreprise entrent souvent en contradiction avec les intérêts des employé·es de l’entreprise et des autres parties prenantes. La pénurie récente de ce qu’on a appelé les « métiers en tension » est en partie due à une satisfaction au travail souvent limitée. Et c’est précisément pour cela qu’il est important que nous continuions à mettre en avant notre modèle économique. C’est un modèle qui doit se généraliser, il permet aux personnes de créer une activité économique et de gagner un revenu à leur rythme et selon leurs propres ambitions. Il s’agit d’un modèle qui réduit la distance par rapport au marché du travail, augmente l’implication et la satisfaction au travail, et qui est ancré localement dans l’application des principes de circuit court. S’inscrivant pleinement dans la transition juste, l’humain et l’environnement passent avant tout en facilitant la création de nouveaux emplois, en stimulant l’innovation et en veillant à de meilleures conditions de travail. C’est un modèle qui donne la priorité au travail plutôt qu’à la rémunération du capital et qui considère les ressources financières comme un moyen, non comme une fin en soi.
En unissant leurs forces, les acteurs et actrices de l’économie sociale peuvent mettre notre société sur une voie juste et durable. La Présidence belge du Conseil de l’Union européenne nous offre l’opportunité de renforcer les réseaux et réaliser cette transition.
¹ Groupe d’intérêt pour les employeurs coopératifs danois
² https://www.vlaanderen.be/sociale-economie
³ https://economiesociale.be
⁴ Structures d’accompagnement à l’auto-création d’emploi (SAACE) – Emploi et Formation professionnelle en Wallonie
⁵ https://social-economy-gateway.ec.europa.eu/about-social-economy_en
⁶ https://www.linkedin.com/posts/social-economy-europe_liegeroadmap-socialeconomy-3-finalproprepdf-activity-7163190107263475713-AAYU