Chapitre XII (le chapitre dédié aux travailleur·euses des arts dans l’arrêté royal « chômage »)

Opinions

La nouvelle règlementation chômage à destination des travailleur·euses des arts est entrée en vigueur pour partie le 1er octobre dernier. Toutes les règles spécifiques sont désormais rassemblées dans un chapitre dédié, le chapitre XII, définissant de fait un nouveau régime chômage pour la population concernée. Dans cette Kronik, nous livrons une analyse des divisions que la réforme va engendrer et revenons sur la position adoptée par Smart.

Nous cherchions quelque chose de symbolique à relever autour de ce chapitre XII, genre apocalyptique, Armageddon, etc. Mais finalement c’est dans l’évangile de Saint Matthieu (si, si) que nous avons trouvé notre pitch: au chapitre XII, l’on y trouve ceci:

« [Jésus dit aux pharisiens:] Tout royaume divisé contre lui-même sera réduit en désert, et toute ville ou toute maison divisée contre elle-même ne subsistera pas. »

Car c’est exactement de cela qu’il s’agit: la fracture instituée par cette réforme entre tous les travailleurs et une caste d’artistes, entre les artistes et les travailleur·euses techniques ou dans des métiers de soutien, entre les artistes sous chapitre XII et les artistes au chômage ordinaire, entre les artistes et les autres travailleur·euses exerçant leur savoir-faire dans les conditions de l’intermittence d’emploi.

Et cette fracture est destructrice: elle atteindra la solidarité entre travailleur·euses, elle atteindra même les fondements de l’assurance chômage, elle atteindra la capacité des artistes, technicien·nes et autre personnel dit de « soutien » à se rassembler, pour lutter, à se fédérer, à être tous·tes ensemble représenté·es par les organisations syndicales. Simplement parce que les intérêts des uns et des autres vont considérablement diverger.

Le piège final se refermera quand les fédérations enverront leurs représentant·es à la Commission du Travail des Arts, car elles ne pourront maintenir dans une mobilisation commune une base comportant des « artistes chapitre XII » et des « artistes ordinaires ». Tout comme les syndicats ont eu des difficultés à représenter les chômeur·euses en même temps que les travaileur·euses en entreprise ou dans la fonction publique. Car l’exercice est structurellement difficile à réaliser.

L’on ne reviendra pas sur le fait que la volonté exprimée par le secteur de « sortir du régime chômage », ou de « rendre compte de la notion de professionnel », ou de « rendre visible le travail invisibilisé », une volonté mal maîtrisée tant d’un point de vue stratégique que politique ou technique (la technique juridique) , a largement contribué à la production de cette réforme, quand bien même les fédérations représentant ce secteur n’ont probablement jamais voulu expressément cette incarnation-là  de leur volonté.

L’on ne reviendra pas sur la position inébranlable de Smart: 

  1. C’est l’intermittence d’emploi et la diversité des formes de revenus professionnels et des relations de travail qu’il faut traiter dans toutes les branches du régime général de la Sécurité sociale (en tant que régime général et pas seulement « régime salarié »).
  2. Et c’est la nature du travail (non rémunéré: prospection, dossier, promotion, travail d’atelier, entraînement, formations, etc.) conduisant à la conclusion d’échanges économiques procurant des revenus professionnels dans le chef de demandeurs·euses d’emploi indemnisés au chômage qu’il faut établir en tant que « comportement actif de recherche d’emploi » (et donc cumulable avec les allocations de chômage).
  3. La nature « artistique » ou « culturelle » du secteur, du métier, de la pratique, ne devrait pas entrer en ligne de compte : ce sont les situations socio-économiques objectives qui doivent former la base de la réflexion.

Mais manifestement, nous sommes inaudibles et la sociologie politique actuelle ne laisse que peu de place à l’espoir de voir les choses évoluer à court terme. Les bombes sociales ne sont pas désamorcées et leur tic-tac infernal devrait pourtant en inquiéter plus d’un, à gauche comme à droite (même si pour des motifs différents).

La situation, relativement à cette réforme peut être synthétisée comme suit : celles et ceux qui peuvent d’emblée (avant toute indemnisation au chômage ordinaire) prétendre à l’application du chapitre XII y trouveront sans doute une situation améliorée en certains points. Pour tous et toutes les autres artistes, s’ils et elles sont indemnisé·es au chômage ordinaire, la situation sera infernale : plus rien ne les protège contre les sanctions de l’ONEM pour « travail invisibilisé » – travail qu’ils devront pourtant faire valoir devant la Commission du Travail des Arts pour obtenir le fameux sésame qu’est l’attestation. Pour elles et eux également, quand ils sont auteurs ou créateurs (sans aucune relation de subordination à l’égard de leur client/donneur d’ordre), l’usage du 1er bis (assujettissement de ce type de revenus à la Sécurité sociale des salariés) sera désormais impossible.

Et enfin, et c’est quelque chose dont on n’a pas fini de découvrir les conséquences (juridiques, politiques), la généralisation de l’utilisation de tous les revenus bruts pour calculer le nombre d’équivalents « jour de travail » à faire valoir et le nombre des jours non indemnisables transforme en droit comme dans les faits l’allocation du travail des arts 1  en un complément de revenu sous conditions de revenus. C’est justement ce qui distingue l’aide sociale (par exemple le revenu d’intégration sociale au CPAS) de l’assurance sociale (l’allocation de chômage dans sa version ordinaire, qui est un revenu de remplacement). Nul Gouvernement n’avait encore osé sauter le pas: celui-ci l’a fait.

Il sera, politiquement, très difficile de revenir en arrière et sans doute encore plus difficile de travailler à étendre le Chapitre XII là où il comporte de réelles avancées et pour en faire bénéficier de plus en plus de personnes tous métiers et secteurs confondus. Les secteurs vont devoir apprendre à vivre avec deux groupes d’artistes aux intérêts profondément divergents et se faisant encore plus brutalement concurrence : pour l’un, le travail dit invisibilisé n’est plus un réel problème quotidien, pour l’autre, le faire rémunérer est un enjeu vital, et les producteurs et diffuseurs sauront tirer profit de cette concurrence. La machine à diviser et fracturer est en route.  Et au bout du compte, ou plutôt du décompte,  » … toute ville ou toute maison divisée contre elle-même ne subsistera pas ».

Smart, en toute cohérence avec ses valeurs et son objet, n’hésitera pas à tout mettre en œuvre pour soutenir les artistes XII ou pas XII dans leur réappropriation de leurs conditions socio-professionnelles, et bien entendu dans les conflits qui ne manqueront pas de naître avec l’ONEM et la Commission du Travail des Arts.

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1 qui n’est plus que partiellement reconnues comme allocation de chômage

2 réponses sur « Chapitre XII (le chapitre dédié aux travailleur·euses des arts dans l’arrêté royal « chômage ») »

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